Évolution de l'imagerie antisémite

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la propagande antisémite contre « le Juif » a joué un rôle important dans le génocide. Afin de bien comprendre cette représentation, il est important d’examiner comment l’image antisémite a évolué dans le temps. Les dessins, objets et affiches sélectionnés par Kazerne Dossin dans #FakeImages couvrent quatre grandes périodes.

Antisémitisme

la profanation des hosties

MOYEN-ÂGE – 19ÈME SIÈCLE: l’antisémitisme d’inspiration religieuse

En Europe, dans la foulée des croisades, naît l’antisémitisme d’inspiration religieuse : les Juifs ne sont plus seulement stigmatisés en raison de leur foi, ils sont désormais accusés d’être responsables des malheurs du monde : épidémies, catastrophes naturelles, meurtre d’enfants et profanation d’hosties. La population s’acharne contre ces boucs émissaires, souvent à l’instigation du pouvoir féodal ou royal, qui trouve là un moyen commode de détourner la colère populaire sur une minorité sans défense. Du Moyen-âge aux Temps modernes, des milliers de Juifs sont envoyés au bûcher, obligés de se convertir ou de quitter leur pays.

Antisémitisme

l’Affaire Dreyfus

1886-1920: l’image antisémite en mutation

À la fin du 19ème siècle, l’Europe est secouée par des crises sociales et politiques. Une nouvelle forme d’antisémitisme politique se greffe sur l’antisémitisme d’essence religieuse qui accusait déjà les Juifs d’être  responsables du Mal (épidémies, infanticide, meurtre rituels, profanations d’hostie). Malgré leur dissémination partout dans le monde et leur présence à tous les échelons de la société, les Juifs sont traités comme des citoyens de seconde zone. D’autant plus qu’ils n’ont aucun État pour les défendre. Aux yeux des antisémites, ils apparaissent comme des coupables idéaux.

Avant la fin du 19ème siècle, l’antisémitisme se propage principalement par les écrits. Depuis 1880, on y ajoute des images-choc diffusées à grande échelle. Journaux, chansons, cartes postales et autres images d’Épinal (illustrations imprimées en couleur) stigmatisent les Juifs. Divers stéréotypes haineux sont diffusés par ces nouveaux médias. Ils présentent  « le Juif » comme le corrupteur de la société, l’ennemi héréditaire de la chrétienté, le traître à la patrie, l’être difforme, sale et laid, l’incarnation d’une soi-disant race dégénérée… que l’on oppose à une image idéalisée des citoyens « de souche ».

Devant un antisémitisme croissant, les propagandistes prennent peu à peu conscience du potentiel de cette iconographie hostile aux Juifs. Ils reprennent certains stéréotypes de l’art médiéval chrétien, notamment la figure du « Juif diabolique » et la diffusent plus largement grâce à ces média. Ces stéréotypes antisémites et xénophobes créent une polarisation entre les « bons » Belges (ou Français, Allemands, etc. » et la population juive, toujours considérée comme étrangère même si celle-ci est installée en Europe depuis plus d’un millénaire.

Dans cette première phase, l’image antisémite resurgit à chaque crise, avec chaque fois plus de force, de haine et d’impact. Ainsi, le scandale de Panama, l’Affaire Dreyfus et la diffusion des Protocoles des Sages de Sion trouvent un écho considérable en Europe. La manipulation de l’opinion publique est en marche.

Antisémitisme

Kristallnacht

1920-1939: l’image antisémite à la conquête du pouvoir

Après la Première Guerre mondiale, l’antisémitisme s’exprime plus ouvertement et vigoureusement qu’avant : la lutte contre le communisme fait du « Juif » un révolutionnaire sanguinaire ; la crise économique le présente comme un profiteur capitaliste ; la crise spirituelle le transforme en ennemi de la chrétienté… La figure du « Juif fantasmé » s’adresse à tous les discours pour tous les publics.

La croyance en la véracité des Protocoles des Sages de Sion est plus forte que jamais, comme en témoigne la chronique autour du Péril juif de Georges Simenon dans la Gazette de Liège.

Certains États, surtout d’Europe centrale et orientale, adoptent l’antisémitisme comme doctrine officielle, promulguent des lois discriminatoires et mènent des politiques antisémites. Les théoriciens des races ajoutent un fondement « scientifique » à l’antisémitisme. Ils prétendent établir de manière radicale, indélébile, biologique la différence juive. Même la conversion ne pourra sauver les Juifs.

La victoire électorale d’Hitler en 1933 renforce cet antisémitisme racial et biologique. Dans Mein Kampf, Hitler accorde une place centrale à la propagande. Elle doit valoriser les mythes fondateurs et les valeurs de la « race germanique ». La propagande sert également à séduire « son peuple » et à souder la Nation en incitant à la haine des Juifs et d’autres groupes. La propagande envahit la sphère publique, le monde économique et l’éducation.

L’illustration, surtout lorsqu’elle est en couleur, est le média idéal pour propager très largement la haine. En plus des cartes postales très utilisées, les affiches envahissent l’espace public, les journaux illustrés sont placardés sur les murs. Les propagandistes se servent même des livres d’enfants pour embrigader la jeunesse.

Antisémitisme

Auschwitz

1939-1945: l’image antisémite en mutation

En 1941, la guerre prend une dimension mondiale avec l’invasion de l’Union soviétique, jusqu’alors alliée de l’Allemagne nazie et l’entrée en guerre des États-Unis. L’attaque de l’URSS, bastion supposé des « judéo-bolchéviques », marque le début de l’extermination systématique des Juifs d’Europe.

La propagande n’a plus pour fonction d’entretenir la haine des Juifs, mais de justifier leur extermination totale, et ce, tant auprès des troupes chargées de les assassiner que des populations allemandes comme locales. La stigmatisation du « Juif communiste » s’inscrit aussi dans une politique de séduction à l’égard des populations de l’Est, désormais « libérées du joug judéo-bolchévique ». À l’Ouest comme à l’Est, les régimes de collaboration accentuent leur pression contre les Juifs.

Le discours antisémite renvoie la responsabilité des persécuteurs sur les Juifs : il accuse les Juifs d’avoir déclenché la guerre, de vouloir conquérir le monde, de spolier et d’exterminer… dédouanant les nazis de la responsabilité de leurs actes.

“Aujourd’hui, je serai encore un prophète : si la finance juive internationale en Europe et hors d’Europe devait parvenir encore une fois à précipiter les peuples dans une guerre mondiale, alors le résultat ne serait pas la bolchévisation du monde, donc la victoire de la juiverie, au contraire, ce serait l’anéantissement de la race juive en Europe. »

Discours d’Adolf Hitler au Reichstag, Berlin, 30 janvier 1939

Les représentations antisémites ne parlent pas des Juifs, mais bien des obsessions des antisémites : le pouvoir, l’argent et « la race ». La barbarisation graphique du visage du Juif imaginaire reflète une radicalisation de l’antisémitisme. Les Juifs y sont totalement déshumanisés. Elle aboutit à une absolue négation de leur identité d’êtres humains.

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